Il n’y a pas de raison

Nous poursuivons la publication de textes exprimant les vues et l’implication d’initiatrices/teurs et participant.e.s à l’action en cours par un texte de Sylvie Gouttebaron.


Il n’y a pas de raison

Il n’y a pas de raison pour que notre besoin de poésie soit impossible à rassasier. Pourquoi faudrait-il payer le prix de cet attachement ? Il n’y a pas de raison à ce que notre soif de liberté ne soit pas la plus juste. La poésie est une de ces libertés qui se prennent sans retour possible. Qui voudrait qu’elle n’ait pas – ou plus – le droit de cité parce qu’elle ne coûte rien ? Qu’elle ne se vend pas ?

Mais elle est énorme la poésie ! Elle est grosse de tous ses enfantements splendides et misérables. Madone de Piero au manteau de miséricorde. Elle n’a rien à voir. Elle n’a rien à vendre. Elle vend sa peau. Elle pourrait crever pour ne pas se perdre. C’est un peu sa loi. Sa toute propre et congénitale loi. Il n’y a pas de raison. Qu’elle change. Il n’y a pas de raison parce que l’époque le voudrait. Quelle époque ? Quel pouvoir ? Et quel vouloir ? Elle est une fois pour toutes, ou elle n’est pas. Elle ne s’arrange pas avec le temps, la mode et tout le falbala. Elle trace, coupe, tranche, jamais ne se retranche. Il n’y a pas de raison. La poésie n’est pas économe, par plus qu’économique, elle dispense, dépense, sans compter. C’est son tragi-comique son humour intrinsèque, sa double et triple vie, sa peine. C’est bien ce qui dérange. Sa fonction est le trouble. C’est l’ordre qu’elle saisit. L’ordre et puis tous les ordres (syntaxes, ponctuations et toutes choses et tout joyeusement) pour jouer. A pile ou mort. C’est mordre. Elle, au fastueux désordre, désordonne à l’envi. Il n’y a pas de raison que cela cesse. Le pouvoir se cassera toujours toutes les dents contre sa force charmante, fringante, coupable de tout comme de rien. C’est compliqué. Rebelle retors. Nous ne passerons pas notre tour. Elle est Natnaël. Elle vient pour bousculer, faire sauter. Dans le vide on peut le faire pour voir. Une fois, dix fois, cent fois pour vivre. Avec Natnaël on vit et l’on revit. Il n’y a pas de raison pour que Natnaël comme ses frères ne puisse pas vivre comme la poésie, comme vous, comme moi. Libre. Ici libre. Il n’y a pas de raison sans perdre la raison. La poésie devient folle quand on la cadre recadre, clic clac et c’est le jour. Sa fabrique est immense. Comprendre la réduit, s’en détourner lui nuit. Elle a besoin de nous, veut et ne veut pas. C’est compliqué. Rebelle retors. Etre irréductiblement libre être dans la loi librement. Etre Natnaël dans la loi libre. Il n’y a pas de raison que cela ne se puisse. My papers dit-il et les papiers s’empilent comme si la loi était de s’empiffrer de papiers qui ne mènent nulle part qu’à la case départ. La poésie mange le papier, mange la loi. Souveraine. Elle est hors, toujours dedans quand dans le mille. C’est une flèche voyez la tapisserie elle le dit. Les liquidateurs de la poésie, les liquidateurs de Natnaël sont impuissants de liberté. Ils sont le contraire de la joie totale, de la joie gourmande, du rire de l’ogre bon. Ils sont le contraire du chaud, du froid, du sang. Ils sont déjà morts sans avoir jamais passé outre. Ils ne sauront donc jamais ce que c’est que d’enfreindre pour la vie. Ils n’ont pas de raison de. La poésie est un nom un peuple et c’est quelqu’un. Pas de pluriel plus magnifique qu’un être. Il y a le peuple des migrants dans le poème magnifique de chaque être. Natnaël est ce peuple. Pour lui j’écris comme pour elle je fais tout comme. Ils ont origine commune. Il n’y a pas de raison et nous avons raison. Avec eux et pour eux. Leurs contempteurs ne savent pas encore combien nous sommes nombreux. Et dans ce face à face, nos yeux sont les plus vifs.