Home

Warsan Shire est une poète somalie et britannique dont les parents s’étaient réfugiés au Kenya. Elle a grandi au Royaume-Uni. Les éditions Isabelle Sauvage ont publié une traduction par Sika Fakambi de son recueil Teaching my mother how to give birth sous le titre de Où j’apprends à ma mère à donner naissance. Le poème Home a été publié dans divers sites dans une traduction (avec quelques omissions) de Paul Tanguy. En voici une nouvelle traduction.


HOME

home1)   NdT : j’ai renoncé à traduire plusieurs occurrences du mot home, dont la polysémie ne peut être rendue en français que par « chez soi » qui aboutissait souvent à des lourdeurs inacceptables., personne n’en part à moins
que ce soit devenu la mâchoire d’un requin
on ne court vers la frontière
qu’en voyant toute la ville s’y ruer

tes voisins courent plus vite que toi
le sang de leur souffle dans leur gorge
le garçon avec qui tu es allée à l’école
qui t’a embrassée jusqu’au vertige derrière la vieille usine d’étain
tient un fusil plus grand que lui
on ne part de son chez soi
que quand il ne vous laisse plus rester.

home, personne n’en part à moins qu’il vous chasse
le feu sous les pieds
le sang chaud dans ton ventre
tu n’avais jamais pensé à le quitter
jusqu’à la brûlure de la lame
sur ton cou
et même alors tu as emporté l’hymne national
dans ton souffle
ce n’est qu’en déchirant ton passeport dans les toilettes de l’aéroport
un sanglot à chaque bouchée de papier
que tu as su que tu ne reviendrais pas

il vous faut comprendre
que personne ne met ses enfants dans un bateau
à moins que l’eau soit plus sûre que la terre
personne ne brûle ses paumes
sous des trains
derrière des chariots
personne ne passe des nuits dans l’estomac d’un camion
se nourrissant de papier journal à moins que les kilomètres
soient plus qu’un voyage
personne ne rampe sous les clôtures
personne ne veut être battu
ni faire pitié

personne ne choisit les camps de réfugiés
ni les fouilles à nu après lesquelles
ton corps est douloureux
ni la prison,
parce que la prison est plus sûre
qu’une ville en feu
et qu’un gardien
dans la nuit
vaut mieux qu’une cargaison
d’hommes qui ressemblent à ton père
personne ne pourrait le supporter
personne ne pourrait l’endurer
nul n’a la peau assez dure

« retournez chez vous les noirs
les réfugiés
les demandeurs d’asile
qui sucent le sang de notre pays
les nègres qui mendient
à l’odeur bizarre
sauvages
ils ont bousillé leur pays et maintenant
ils veulent bousiller le nôtre » 2)   NdT : j’ai ajouté des guillemets à la sixième strophe pour éviter toute confusion de lecteurs trop pressés.
comment les mots
les regards mauvais
peuvent-ils glisser sur ton dos
peut-être parce que le coup
est plus doux qu’un membre arraché

ou que les mots sont plus tendres
que quatorze hommes
entre tes cuisses
ou les insultes
plus faciles à digérer
que des gravats
que des os
que le corps de ton enfant
en morceaux.
home, je veux y rentrer
mais c’est la mâchoire d’un requin
le canon d’un fusil
home, personne ne le quitterait
à moins qu’il t’ait chassé à la rive
qu’il t’ait dit
d’accélérer ta course
d’abandonner tes habits
de ramper dans le désert
de patauger dans les océans
de te noyer
d’en réchapper
d’avoir faim
de mendier
d’oublier ta fierté
la survie d’abord
home, personne ne le quitte
jusqu’à que ce soit une voix douce dans ton oreille
qui dit –
pars
enfuis-toi au loin de moi maintenant
je ne sais pas ce que je suis devenu
mais je sais que n’importe où
est plus sûr qu’ici

trad. Philippe Aigrain

References   [ + ]

1.    NdT : j’ai renoncé à traduire plusieurs occurrences du mot home, dont la polysémie ne peut être rendue en français que par « chez soi » qui aboutissait souvent à des lourdeurs inacceptables.
2.    NdT : j’ai ajouté des guillemets à la sixième strophe pour éviter toute confusion de lecteurs trop pressés.