Participez à l’action « Laissez-nous étudier »

J’accueille l’étranger participe à une action initiée par Paris d’Exil, Timmy et RESF 75 pour défendre le droit inconditionnel des mineurs isolés, avant même la reconnaissance souvent tardive de leur minorité, à être scolarisés et passer les tests CASNAV et CIO qui sont nécessaire à leur futur parcours d’éducation et de formation. Ce droit qui se heurtait déjà souvent à des obstacles bureaucratiques est maintenant mis en cause frontalement notamment dans l’Académie de Paris, mais aussi dans d’autres zones comme les Pyrénées-Atlantiques. Il s’agit d’une violation flagrante de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ratifiée par la France il y a 28 ans, et de la présomption de minorité affirmée dans de nombreux textes.

cours associatif
cours associatif dans un lieu parisien (extrait du dossier de presse)

Voir le dossier de presse (avec tous les signataires de l’appel) présentant le contexte et l’action, dont le point de départ sera une mobilisation le vendredi 7 septembre de 10h00 à 12h30 devant le Lycée Voltaire, 101, avenue de la République, Paris 11è, avec de nombreuses activités proposées et un point presse. Si vous utilisez Facebook, indiquez votre participation ici.

Quand à l’heure de l’apéritif, arrive sur ta plage une patera…

C’est un beau texte de Violetta Munoz paru dans eldiaro.es.
On le trouve en VO ici : https://www.eldiario.es/…/Invasiones-derechos-humanos-cerve….
Je me suis permis de le traduire en français


Quand à l’heure de l’apéritif, arrive sur ta plage une patera…

Il est très probable qu’on connaisse déjà l’histoire de la patera arrivant sur une plage d’Andalousie, juste à l’heure de l’apéritif. Surprise, stupéfaction et épuisement, rencontre entre inconnus, arrestations, le coeur par terre. Mais on ne s’ennuie pas, il y a un bonus : pendant que la police surgit de derrière le dernier rocher qui les sépare, un des migrants enlève ses vêtements, se jette sur le sable, s’en frotte et rampe jusqu’à la serviette la plus proche, changé en un touriste de plus. Personne ne se tourne pour regarder, personne ne dénonce, personne ne veut qu’on le découvre.

Ce que nous avons vécu dimanche dernier dans une crique de Barbate peut bien se résumer ainsi : un accord tacite entre toutes les personnes qui profitaient d’un jour de soleil et de mer. Sans doute, les radios et les télés grouillaient en diatribes : avalanches, clandestins et frontières – pendant ce temps, une cinquantaine de personnes descendait, trempée jusqu’aux os, d’une embarcation gonflable face à une foule qui un instant, un instant seulement, hésitait avant de s’approcher pour aider.

Aujourd’hui j’ai été témoin de quelque chose qui se répète ces jours-ci sur les plages andalouses. Entre les pelles et les seaux, la petite bière de midi et les parasols, une cinquantaine de personnes est arrivée sur un bateau gonflable.

A suivre sur le fil Twitter de l’auteure, avec les photos : :

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Il n’existe pas de chemin sans terme

Je ne suis pas née en France. J’ai aussi souvent vécu à l’étranger (vécu, pas voyagé). J’ai donc souvent été accueillie.
Donc, née en Iran. Celle qui me sort de ma mère, qui détortille le cordon de mon cou, qui me tape dans le dos pour que je crie est une obstétricienne arménienne. Celle qui essuie le mucus de mon corps, qui l’aspire de mes narines est une sage-femme iranienne.
Tout s’ensuit. Ce que je vais prendre pour me constituer, c’est ce pays qui me le donne. Les yaourts de brebis dans leur pot de terre, les viandes, les fruits, les citrons doux, les aubergines charnues, la poésie, les petits rus clairs qui courent dans la caillasse, les cieux bleus comme nulle part, tous les bleus appris là-bas. Fathémée, aimée comme la mère qu’elle a été en doublure de la mienne. J’ai tout eu, tout pris. C’est mon devoir d’enfant.

Là où on tombe de l’utérus de sa mère, on est chez soi. C’est inimaginable pour moi d’envisager qu’un droit du sol ne s’applique pas strictement, comme dans la matérialité de la vie. Nous sommes tous accueillis par un sol, ce qu’il produit, ceux qui y vivent. Nous en contractons la dette anthropogénétique, car être accueilli par le fait même de naître et de naître dans une extrême dépendance, nous engage dans la réciprocité d’accueillir. Il n’y a pas d’échappée. C’est ainsi ou c’est la mort.

Tout pareil, accueillir l’étranger. Celui qui arrive démuni sur notre sol. Qui a besoin qu’on lui montre les chemins, qu’on lui donne le couvert. L’étranger est sur le sol qui n’est pas le sien comme celui qui vient de tomber en vie, petit, démuni de ressources propres. Non, l’étranger n’est pas le touriste qui a trouvé un Air B&B pour passer une semaine. L’étranger est celui qui arrive et qui n’a rien en propre. Ni la langue, ni l’argent, ni les ressources que la connaissance du lieu et de ses habitants donnent.
L’étranger est une figure absolue, nécessaire. Elle nous constitue du fait de la dette initiale.

On naît tous à l’étranger et chez nous, simultanément. C’est l’hospitalité qui fait de « étranger » un « chez nous ». Une transmutation. Moi j’ai eu cette chance, d’avoir, visible, le redoublement de « étranger ». Su ce que je devais d’emblée. Compris comment la dette ne se referme pas, elle dispose à s’engager ailleurs.

Ici, hier, où, parce qu’un ballon rond tombe comme une note sur une partition, on chantait à pleins poumons les enfants de la patrie, chantaient tout pareil et tout pareil le visage barbouillé de bleu blanc rouge, des enfants pas de la patrie, mais de l’accueil. Et ma seule joie de cette journée, la vraie, ce sont eux. Eux, et sur le terrain, ceux qui n’étaient pas d’emblée de la patrie, mais reçus sur le sol, naissant là où leurs parents étaient accueillis.
Et j’en aurais pleuré de me souvenir de tout ce qui leur a été infligé, aux enfants pas de la patrie, lorsqu’ils sont arrivés. Les nuits, terrorisés dans les parcs, les examens comme aux animaux, les questionnaires de police comme s’ils venaient nous voler quelque chose, alors que leur dû ne leur a pas été versé. Le dû qui n’est pas un devoir, qui est notre origine humaine.

J’ai vu, chez moi, dans cette grande ville riche, passer l’horreur de ce que nous faisons de notre dette humaine d’accueil. J’ai vu, cet hiver et jusqu’au début de l’été, un campement de deux milles personnes le long d’un canal. Il me reste de cela cette pétrification de ce qui ne peut se concevoir. Vu aussi l’eau coupée aux fontaines. Les évacuations, comme on dit du sale. Les pierres mises pour empêcher les corps de s’étendre. Le reniement de la dette humaine d’accueil. Son juste contraire, l’invention permanente de ce qui fait obstacle, entrave, blesse, heurte toute installation. Les corps qui devraient se recroqueviller jusqu’à disparaître.
Le déni de naître, d’avoir reçu une place dans le monde.

Alors, puisque nous ne sommes tenus à aucune obéissance qui ne soit celle qui constitue la vie, nous savons comment contredire ce qui offense cette vie. Nous savons, parce que nous avons pris et reçu. Alors, faisons.

Même si l’abri de ta nuit est peu sûr
et ton but encore lointain
sache qu’il n’existe pas de chemin sans terme.
Ne sois pas triste.

Chams al-Din Muhammad Hafiz

Jane Sautière

À propos de l’initiative « J’accueille l’étranger », de ses slogans et de son rôle

Pourquoi donc cette initiative ? De qui émane-t-elle ? Comment et pourquoi a-t-elle choisi ses slogans ? Quel est son rôle par rapport à celui des nombreuses organisations et collectifs actifs depuis longtemps pour défendre et aider ceux et celles qui cherchent refuge et accueil en Europe ? Risque-t-elle de faire l’objet d’une récupération politique ? Voilà les questions qui nous sont parfois posées, et auxquelles cet article – rédigé par un de ses initiateurs – tente de répondre. Continuer la lecture de « À propos de l’initiative « J’accueille l’étranger », de ses slogans et de son rôle »

Il n’y a pas de raison

Nous poursuivons la publication de textes exprimant les vues et l’implication d’initiatrices/teurs et participant.e.s à l’action en cours par un texte de Sylvie Gouttebaron.


Il n’y a pas de raison

Il n’y a pas de raison pour que notre besoin de poésie soit impossible à rassasier. Pourquoi faudrait-il payer le prix de cet attachement ? Il n’y a pas de raison à ce que notre soif de liberté ne soit pas la plus juste. La poésie est une de ces libertés qui se prennent sans retour possible. Qui voudrait qu’elle n’ait pas – ou plus – le droit de cité parce qu’elle ne coûte rien ? Qu’elle ne se vend pas ?

Mais elle est énorme la poésie ! Elle est grosse de tous ses enfantements splendides et misérables. Madone de Piero au manteau de miséricorde. Elle n’a rien à voir. Elle n’a rien à vendre. Elle vend sa peau. Elle pourrait crever pour ne pas se perdre. C’est un peu sa loi. Sa toute propre et congénitale loi. Il n’y a pas de raison. Qu’elle change. Il n’y a pas de raison parce que l’époque le voudrait. Quelle époque ? Quel pouvoir ? Et quel vouloir ? Elle est une fois pour toutes, ou elle n’est pas. Elle ne s’arrange pas avec le temps, la mode et tout le falbala. Elle trace, coupe, tranche, jamais ne se retranche. Il n’y a pas de raison. La poésie n’est pas économe, par plus qu’économique, elle dispense, dépense, sans compter. C’est son tragi-comique son humour intrinsèque, sa double et triple vie, sa peine. C’est bien ce qui dérange. Sa fonction est le trouble. C’est l’ordre qu’elle saisit. L’ordre et puis tous les ordres (syntaxes, ponctuations et toutes choses et tout joyeusement) pour jouer. A pile ou mort. C’est mordre. Elle, au fastueux désordre, désordonne à l’envi. Il n’y a pas de raison que cela cesse. Le pouvoir se cassera toujours toutes les dents contre sa force charmante, fringante, coupable de tout comme de rien. C’est compliqué. Rebelle retors. Nous ne passerons pas notre tour. Elle est Natnaël. Elle vient pour bousculer, faire sauter. Dans le vide on peut le faire pour voir. Une fois, dix fois, cent fois pour vivre. Avec Natnaël on vit et l’on revit. Il n’y a pas de raison pour que Natnaël comme ses frères ne puisse pas vivre comme la poésie, comme vous, comme moi. Libre. Ici libre. Il n’y a pas de raison sans perdre la raison. La poésie devient folle quand on la cadre recadre, clic clac et c’est le jour. Sa fabrique est immense. Comprendre la réduit, s’en détourner lui nuit. Elle a besoin de nous, veut et ne veut pas. C’est compliqué. Rebelle retors. Etre irréductiblement libre être dans la loi librement. Etre Natnaël dans la loi libre. Il n’y a pas de raison que cela ne se puisse. My papers dit-il et les papiers s’empilent comme si la loi était de s’empiffrer de papiers qui ne mènent nulle part qu’à la case départ. La poésie mange le papier, mange la loi. Souveraine. Elle est hors, toujours dedans quand dans le mille. C’est une flèche voyez la tapisserie elle le dit. Les liquidateurs de la poésie, les liquidateurs de Natnaël sont impuissants de liberté. Ils sont le contraire de la joie totale, de la joie gourmande, du rire de l’ogre bon. Ils sont le contraire du chaud, du froid, du sang. Ils sont déjà morts sans avoir jamais passé outre. Ils ne sauront donc jamais ce que c’est que d’enfreindre pour la vie. Ils n’ont pas de raison de. La poésie est un nom un peuple et c’est quelqu’un. Pas de pluriel plus magnifique qu’un être. Il y a le peuple des migrants dans le poème magnifique de chaque être. Natnaël est ce peuple. Pour lui j’écris comme pour elle je fais tout comme. Ils ont origine commune. Il n’y a pas de raison et nous avons raison. Avec eux et pour eux. Leurs contempteurs ne savent pas encore combien nous sommes nombreux. Et dans ce face à face, nos yeux sont les plus vifs.

Maglietta Rossa, pour arrêter l’hémorragie d’humanité

Hier, à l’appel de Libera, et avec le soutien de Gruppo Abele, Arci, Legambiente, Anpi et du journaliste Francesco Viviano, des milliers d’italien.ne.s portaient un T-shirt rouge pour arrêter « l’hémorragie d’humanité ». Nous saluons cette initiative sœur avec une photo dont nous remercions les contributeurs. C’est tous les jours qu’il va falloir continuer à lutter pour que le droit à l’exercice effectif de la fraternité (et sororité), partiellement reconnu par le Conseil constitutionnel, s’étende et soit reconnu à sa juste dimension.

Lille, le 7 juillet 2018

 

Galerie

Catherine, projection de « Libre » à l’Espace Saint-Michel
Grande Balade Transversale Queer et Intersectionnelle
Même le métro est solidaire, Paris
Avignon
Avignon
Paris, 5 juillet – code couleur : check !
Julien Fretel prof de Sciences Po à Paris I, 5 juillet
Paris, 5 juillet

 

Paris, 5 juillet – mains de pianiste, cœur de soutien

 

Galerie d’images pour rendre l’accueil visible

Mardi 3 juillet est le jour annoncé pour le début du port et de la diffusion des signes « J’accueille l’étranger ». Ce n’est qu’un début et notre campagne continuera autant qu’il sera nécessaire pour faire reconnaître à sa pleine dimension l’accueil et la solidarité avec ceux qui cherchent refuge sur notre territoire malgré les obstacles dressés sur leur route.

Ce mardi, un peu partout en France, des personnes manifesteront leur pratique et leur soutien à l’aide aux exilés. Certains le feront à l’occasion d’événements collectifs comme celui que Les Éditions N’a qu’1œil et le collectif Bienvenue organisent à Bordeaux. Avant le mardi 3 juillet, des événements de mutualisation de l’achat des badges ont eu lieu dans de nombreuses régions comme les deux que organisés à Paris ou celui que la Ligue des Droits de l’Homme a organisé le 30 juin à Quimper. Nous encourageons, là ou c’est possible, l’organisation de rencontres le mardi 3 juillet avec des destinataires de l’aide, qui eux aussi en revendiquent la légitimité et la pratiquent. Si avez prévu de tels événements signalez-le nous et nous diffuserons l’information. La simple présence dans l’espace public de personnes portant le badge et des stickers collés à des endroits choisis ne sera pas moins importante.

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« Ce que nous faisons vous oblige » #JALE

Après des articles destinés à mettre en place la logistique de l’initiative, et quelques jours le lancement de l’action le mardi 3 juillet, nous débutons la publication de textes de fond exprimant les vues des initiatrices/teurs et participant.e.s sur le pourquoi de cette action. Le texte qui suit est publié en même temps sur le blog de son autrice, Marie Cosnay sur Mediapart.


« Ce que nous faisons vous oblige » 1)Mathieu Potte-Bonneville.

Avec M, qui était à la maison à ce moment-là, et comme c’est joyeux qu’il n’y soit plus (maintenant tu es tiré d’affaire, deux ans d’école devant toi avant tes dix-huit ans, tu es sûre, tu sais je suis méfiant, oui je suis sûre, respirons un peu, là) avec M, qui avait des raisons d’être méfiant et qui était à la maison, on commentait le choix des mots : j’accueille l’étranger.

L’étranger ou l’exilé·e ? L’étranger, disait M, 16 ans, parce que c’est n’importe qui, toi pour moi ou moi pour toi, l’étranger – c’est tout le monde, l’étranger.

Même temps, V rencontrait à la frontière N, sur les herbes folles derrière la petite barrière protectrice dans le virage du carrefour, sacs de plastique à la main, l’aidait à remonter ce morceau de géographie pour la deuxième fois après qu’il avait parcouru bien d’autres morceaux, d’Erythrée au Soudan, du Soudan en Libye, de Libye en Italie, chaque passage le payer de son corps, le moment de l’entrée en Italie est un moment d’accord de fortune, l’accord du moment était entre l’Italie et l’Espagne, le corps agi est déplacé sans accord, l’Espagne qui prend les empreintes devient le premier pays après le premier premier pays qui est l’Italie, le premier pays ni ne protège ni n’enregistre l’asile mais on ne peut rien prouver, le corps de N sans accord dans les rues d’Espagne emprunte pour la première fois la route qui monte, Paris puis Calais, où la tente est déchirée et les papiers volés par les policiers, à Arras la demande d’asile est enregistrée mais Dublin te pend au nez, arrêté de transfert en Espagne et de nouveau la rue à Madrid, après un peu de force retrouvée ce morceau de route à remonter, pour la deuxième fois, le carrefour, la croix des bouquets après Irun, combien de temps a passé, Paris de nouveau et les ami•es rencontré•es, VH, SG, CP et CC, une maison de verdure, une nouvelle maison de verdure, le voyage que vont faire les ami·e·s pour t’effacer de la peau le signe Schengen, le sceau, il suffit d’un voyage contre destin, il suffit de, on s’y met à plusieurs, on va faire, on a une idée, on se tait, une idée tordue, on est aussi fous qu’ils sont fous, on va, on va y arriver.

Je lis le début du chant X de l’Enéide, Vénus parle à son père, elle lui reproche de ne pas laisser Enée s’installer en Italie. D’abord tu voulais, après tu ne veux plus. Enée mon fils, dit Vénus, sera balloté ignotis in undis, sur des eaux ignorées, sur des eaux inconnues, des eaux qu’on ignore et qu’on veut ignorer. D’abord tu voulais et maintenant tu laisses quelqu’un, n’importe qui, nova fata condere, fonder à ta place de nouveaux destins. Tu refuses qu’il trouve une région, notre exilé.

Fonder de nouveaux destins, c’est ce qu’on voulait.
Destins, pour le dire fort.
Le dire fort, exprès.
On pensait qu’on pouvait renverser les données.

Ce qu’on voulait, c’était récupérer le temps. Plié comme un accordéon, il nous étranglait. Futur terrifiant et passé où on s’était égosillé. Il n’y avait pas de présent, mais cette course échevelée, tout prendre de vitesse, ouvrir ce qui demain sera fermé. Aujourd’hui tu passes, demain non, aujourd’hui ça marche, tout à l’heure c’est fini. Aujourd’hui l’Italie te reçoit, demain pas, aujourd’hui convention de Genève, demain centre fermé, demain accords avec la Libye après ceux qu’on a passés avec la Turquie.
Aujourd’hui un port te reçoit, demain il faut faire le tour, passer par, passer ton tour.

48 heures.
Recours.
15 jours.
Délais toujours plus court.
Ce présent sans idées, sans projets, sans tête, qui nous court devant.

Le présent c’est demain, délai 6 mois, mise en fuite 18, après tu pourras, 5 ans avec tes attestations, tu demanderas le titre, le présent nous court devant tout en nous demandant de répéter le passé, raconter, re-raconter, le présent s’écarte de pays d’Europe en pays d’Europe, d’ignorance en ignorance, à chaque carrefour, le présent nous rend fous, le présent fou nous rend fous.

On était épuisés devant l’épuisement, on se tenait épuisés devant l’épuisement.
Ce qu’on voulait, c’était : plus jamais de métaphores.
Ne pas dire qu’on était inondés, canalisations qui débordaient, vagues, flux et flots quand l’autre se noyait.

Ce que nous voulions, c’était se connaître, se montrer, et se compter.

Nous qui déjouions les absurdités montées de toutes pièces, qui distribuions couvertures, petits déjeuners, consultations juridiques, trouvions des trucs, des portes de droit, des portes hors droit, des toits et des nuits, nous voulions nous connaître, nous montrer et nous compter.

Nous disions tou·te·s recevoir davantage que ce que nous proposions, nous témoignions tou·te·s que les questions qui se posaient étaient très différentes des questions que nous entendions, très largement, qui se posaient, nous étions avec des questions de vie quotidienne, de relation, qui cuisine, à quelle heure, comment tu te sens, je préfère sans musique, chez moi comme chez toi, pas trop quand même, je suis fatigué, l’odeur de grillade, le silence du matin. Et : tu as besoin de solitude, ok. Et : surtout pas raconter, ok. Et : c’est pas que pour toi que je le fais.

La géographie des forêts secrètes des abords de l’Europe, la profondeur des fossés, la hauteur et l’épaisseur des grillages, je sais comme si c’était dans mon corps ce que l’Europe qui retient hors des frontières fait aux corps. J’apprends un tout petit peu d’Erythrée et beaucoup de Guinée.

Nous avions des questions, nombreuses, qui ne témoignaient d’aucune sorte de pureté, les réponses négociaient, nos questions réponses négociaient, certes, jamais ne concluaient à la difficulté d’accueillir quelqu’un parce qu’il est étranger. Accueillir suffisait, question complexité.

Je ne crois pas que j’ai besoin de toi, c’est juste un moment, une étape, le temps de trouver le truc, la porte, la porte de droit ou hors droit, le temps de trouver pour moi l’air, pour toi un seuil, ce peu de sol.
Et puis, soudain, parfois, l’amitié.

Ce que nous voulions, c’était voir combien on était, persuadés qu’on grandirait, combien on était à refuser de périr de honte et de chagrin devant les absurdités montées de toutes pièces qui nous rendaient toujours plus absurdes.
Nous étions absurdes devant l’absurdité, épuisés devant l’épuisement, étourdis devant la cruauté, terrifiés devant le futur qu’on se faisait et comme il en faudrait, du temps, pour tout recommencer.
Si on nous disait : pourquoi tu fais ça ? Toutes tes journées, quand même ? Depuis combien de temps tu n’es pas allée au cinéma ?
Je ne sais pas, on répondait.
Parce que j’ai été élevé·e comme ça ?

Ce que nous voulions, vous obliger.
Elus, départements, députés, gouvernements.
Nous calculions, débrouillions, transportions, accueillions.
Vous deviez faire avec les signes que nous donnions.
J’accueille l’étranger.

Le premier mineur isolé que Ph a accompagné à l’ambassade de Guinée, c’était pour obtenir une carte consulaire. Un sésame, cette carte consulaire, nous en entendions parler pour la première fois. Il n’y a pas si longtemps, en fait. Le chemin que nous avons parcouru en consulats, en Guinée, en cartes, ambassades, extraits, jugements supplétifs et codes civils, en un an et demi ! Nous savions qu’ils n’étaient pas obligés de la donner. L’étonnement qui n’est plus le nôtre mais dont se souvient Ph, c’est sûr : un monsieur venait d’une ville de province, accompagnant un mineur lui aussi. On était deux, on était trois, on était quelques-uns. On se reconnaissait, en quête de trucs et de cartes pour ouvrir les portes de droit ou de ruse.

Les jugements supplétifs guinéens, il y a un an, étaient jugés, même authentiques, non conformes au droit (français) car transcrits au registre le lendemain du jugement. En droit français, il y a entre le jugement et la transcription dix jours de délai (qui permettent de faire appel). Il se trouve que le code civil guinéen est très clair là-dessus : pour les actes d’état civil, pas de délai, seul le procureur juge et transcrit, or le procureur est la seule personne à pouvoir faire appel. Les préfectures françaises, les services des bureaux des fraudes refusaient l’absence de conformité au droit français. Des avocat·e·s gagnaient des jurisprudences, même en cour administrative d’appel..

Aujourd’hui, un jugement supplétif à Conakry n’a pas été légalisé par le ministère des affaires étrangères de Guinée. Je l’apprends à l’instant. Raison ? Parce que le procureur de la ville de province n’avait pas attendu dix jours entre jugement et transcription. Ce que les préfectures françaises font au droit guinéen et ce que nos combats font aux combats est décourageant. Course effrénée, on disait.
Qu’on va gagner.

Course effrénée dans ces deux domaines dont les exemples figurent ici. Dublin et enfants. Exemple d’enfermement dans la circulation impossible de l’Europe impossible, et exemples (multiples) d’enfermement dans le soupçon, mineur non mineur, mineur majeur comme disent elles mêmes les associations pour désigner les enfants non reconnus. C’est que l’Europe aux grillages, murs et mers qui noient, la France de la déclaration des droits de l’homme n’ose pas encore dans les textes renoncer à l’idée de l’enfance et à l’idée du refuge politique. Elle a renoncé à la désespérance / espérance de celles et ceux qui fuient des pays où ils ne tiennent rien, ne tiennent pas. Rien à attendre en terme de régularisation, statut, papiers pour qui cherche à vivre mieux ou à vivre, simplement. Il faut venir d’un pays en guerre ou être un enfant pour espérer (sans certitude) un statut. Etre les plus vulnérables parmi les vulnérables. Et justement, ces vulnérables de vulnérables, que l’Europe définit, enfants et potentiels réfugiés (ne tenant pas compte de celles.ceux qu’elle appelle les migrants économiques, l’Europe les violente. Le grand tour ironique (adjectifs plus appropriés à trouver, à la fin il y a criminel), c’est que contre ceux qui sont définis comme les plus vulnérables (et qui ont du droit pour eux, pas le droit, du droit) l’acharnement est le plus (adjectif à trouver).

Ce sont eux, les enfants, qui sont le plus maltraités par les associations (Croix Rouge, COS, pour ne citer que deux associations évaluant les enfants étrangers), par les départements (le 34, le 64, le 13, le 06, le 69 ont la palme).

Et ce sont eux, les demandeurs d’asile, empreintes en Italie, ils passent en France, sont renvoyés en Italie, parfois un accord les envoie dans un autre pays qui les laisse dehors, un an a passé, retour Calais, par exemple, ou Arras, ou Paris, ou Bordeaux, assignation à résidence, CRA, centre fermé, renvoi Italie ou Espagne ou Finlande, 6 mois passent, on continue, fuite, 18 mois, ça peut durer, le présent est interminable, il nous rend fous et fous, très fous, nous lui courons derrière.

Notre folie à nous, c’est que nous insistons et insisterons.
Nous accueillons et accueillerons.
Nous sommes nombreux ou il nous semble que nous sommes nombreux.
Nous pensons qu’on peut faire du nouveau, nova fata, dit Vénus, la mère du héros exilé qui fuit son pays en ruines, chez Virgile.

Nous sommes seuls garants, élus, députés, départements, gouvernements, de ce que vous dites qu’est l’Europe ou de ce que vous dites vouloir qu’elle soit.
Ce que nous faisons vous oblige.

References   [ + ]

1. Mathieu Potte-Bonneville.