Pourquoi donc cette initiative ? De qui émane-t-elle ? Comment et pourquoi a-t-elle choisi ses slogans ? Quel est son rôle par rapport à celui des nombreuses organisations et collectifs actifs depuis longtemps pour défendre et aider ceux et celles qui cherchent refuge et accueil en Europe ? Risque-t-elle de faire l’objet d’une récupération politique ? Voilà les questions qui nous sont parfois posées, et auxquelles cet article – rédigé par un de ses initiateurs – tente de répondre.
D’où vient l’initiative ?
Depuis un an et demi, un collectif informel et à géométrie variable, dont certains membres étaient depuis longtemps investis dans des actions de solidarité avec les migrants et réfugiés, et d’autres nouvellement impliqués, a choisi un mode d’action particulier : accueillir et aider un petit nombre de mineurs non accompagnés et jeunes majeurs sur tous les plans (juridique, éducatif, social, médical, psychologique dans la mesure de nos moyens) et développer un socle d’analyses et propositions politiques utiles pour les nombreux collectifs, souvent informels. Nous n’étions que quelques-uns parmi tant d’autres. Nous tentions d’utiliser nos atouts propres, l’écriture, l’expérience du travail social, l’action sur d’autres volets des droits fondamentaux. Une petite dizaine des signataires de l’appel « J’accueille l’étranger » sont issus de ces efforts. Nous avons produit et publié, avec le soutien de Mediapart, divers textes dont « Pour nos hôtes étrangers : s’opposer, vouloir, agir » et « Se soulever contre la machine à maltraiter« .
À un moment est venu le sentiment d’une nécessité immédiate. Détérioration sans cesse accentuée du respect des droits fondamentaux, piétinement brutal des rares droits que la construction européenne ait installés, découragement de groupes qui se battent vaillamment depuis parfois 15 ans pour les droits des migrants, épuisement des membres de collectifs d’aide malgré le bonheur des rencontres, sentiment d’une catastrophe en cours à l’échelle internationale avec l’empêchement des opérations de secours et les fermetures de ports, accords infâmes avec les pays de rétention extérieure… Tout cela avec l’invocation d’une opinion publique qui demanderait encore plus de brutalité, avec les mensonges et la perversion du vocabulaire de pouvoirs cyniques qui n’ont à offrir que la mise en scène des peurs. Il nous est apparu, comme à d’autres, qu’il fallait que l’aide et l’accueil deviennent visibles, que tous ceux qui les pratiquent, mais aussi ceux qui en soutiennent la possibilité, deviennent visibles. Nous ne nous sommes pas demandé combien nous étions. Parce que la réponse dépendait justement de la façon dont la question était posée, de la possibilité même d’en être.
L’appel et ses slogans
Nous avons rédigé un très bref appel dont nous avons soumis le texte à quelques proches. Le titre initial était « Nous accueillons les exilés ». « Exilés » répondait à la volonté d’éviter toute distinction entre « migrants » et « réfugiés ». Mais c’était une réponse paradoxale. On peut être en exil dans son propre pays et se sentir chez soi entre les langues. D’ailleurs, dans nos textes précédents, nous parlions – en suivant les Italiens – de nos hôtes étrangers, avec la double polysémie d' »hôte » (« celui qui reçoit » et « celui qui est reçu ») et d' »étranger » (celui d’un autre pays, et celui qui ne nous est pas familier, foreigner et stranger en anglais). Aussi, lorsqu’un de nos interlocuteurs nous a dit : « Non, il faut que ce soit « J’accueille l’étranger » parce qu’il s’agit des corps et des droits de tous, et que l’étranger, ce peut-être nous, pour ceux que nous accueillons et pour le voisin », notre accord a été immédiat. Nous avons décidé de soumettre l’appel à une cinquantaine de personnes (les rédacteurs compris), pas plus, parce que nous voulions que cela reste un appel à l’action, et non une pétition. De personnes, pas de personnalités, même si certains signataires ont parfois leur nom dans les journaux. Pratiquement tous (44) ont répondu oui en 48h; parmi les autres, plusieurs ont déclaré par la suite vouloir signer eux aussi.
Il y a un autre slogan (pour les contextes où un sous-titre s’impose) : « Rendre visible le peuple de l’accueil ». Ces slogans ont été généralement très bien reçus, mais nous avons eu des remarques critiques sur « l’étranger », sur l’usage du « je », et sur « peuple ». Quant à ce dernier terme, nous parlons bien sûr de « peuple de l’accueil » dans le sens : « un grand nombre de », et il ne semble pas qu’il y ait un risque de confusion avec les acceptions plus courantes de « peuple d’un pays », de « nation » ou d' »ethnie », ou du peuple comme différent des dirigeants ou des nobles. Les critiques sur « l’étranger » et le « je » de « j’accueille » sont plus sérieuses, car si le port du badge avait pour effet de séparer, voire d’opposer celui qui accueille et celui qui, étranger, est accueilli, ce serait évidemment dommageable. Parmi ceux à qui nous avons soumis ce slogan, il y a évidemment des jeunes que nous accueillons; ils nous ont dit leur préférence pour « l’étranger » (par rapport à « exilé », l’autre mot utilisé pour éviter de séparer migrants et réfugiés ou demandeurs d’asile). Nous souhaitons célébrer aussi l’aide qu’ils s’apportent les un.e.s aux autres, au-delà des origines nationales ou linguistiques différentes (sans négliger les difficultés qui peuvent surgir, par exemple du fait des différences d’attitude des communautés déjà installées à l’égard des nouveaux arrivants), et prévenir ce qui s’est souvent produit dans l’histoire lorsque les membres d’une vague d’immigration antérieure ont été peu accueillants à l’égard de nouveaux venus d’autres origines.
Enfin, le slogan « J’accueille l’étranger » s’oppose frontalement à l’obsession des pouvoirs néoconservateurs : détruire toute affirmation des droits fondamentaux qui s’applique sans condition de nationalité – par exemple, la protection des mineurs au titre de la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est en ce sens aussi que la récente décision du Conseil constitutionnel reconnaissant un droit à l’exercice de la fraternité à l’égard des étrangers est, malgré ses limites (notamment l’exclusion de l’aide au franchissement des frontières, même celles intérieures à l’espace Schengen), si importante.
Le devenir de l’initiative
Aujourd’hui, J’accueille l’étranger fonctionne par cercles concentriques :
- un petit groupe-cœur réunissant :
- celles et ceux qui sont à l’origine de l’appel et prennent essentiellement des décisions éditoriales comme la publication de cet article,
- des animatrices qui s’occupent de la communication sur les réseaux sociaux, de l’enrichissement permanent de la galerie photo et de la présence dans les événements en région parisienne,
- les signataires de l’appel, que nous sollicitons pour contribuer à la réalisation de son objet,
- un peu plus de vingt lieux de mutualisation ou de commandes massives et de fabrication des badges et autocollants répartis un peu partout en France, animés par des associations (dont la LDH Quimper), des collectifs (par exemple, Bienvenue à Bordeaux), des réseaux de collectifs (dans l’Hérault et le Gard), des acteurs culturels (par exemple, la librairie Les temps modernes et les Cercles de silence à Orléans), et des individus.
Tout le monde est évidemment bénévole et il y a de la place pour d’autres activistes à mentalité constructive. Les membres du groupe-cœur sont radicalement indépendants des partis et organisations politiciennes. « J’accueille l’étranger » ne connaîtra pas le sort d’un SOS Racisme, lui aussi bâti autour d’un signe, mais piloté dès l’origine par des proches d’un parti.
« J’accueille l’étranger » est une initiative modeste et ambitieuse à la fois. Ambitieuse parce que nous espérons que la visibilité des pratiques d’accueil en sera augmentée dans l’ensemble de la France. Modeste parce qu’il ne s’agit en rien de remplacer ce qui existe, mais simplement d’offrir à ceux qui agissent déjà, ou souhaiteraient le faire, une possibilité supplémentaire pour laquelle nous apportons une infrastructure et une aide réactive. Le bénéfice est particulièrement immédiat pour les collectifs (qu’ils soient structurés en association ou pas). Mais le passage à l’échelle dépendra aussi de l’implication d’associations et de réseaux de taille significative.